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journal de Pierre Juigner

18 février 2012

12ème REGIMENT DE CHASSEURS D'AFRIQUE ALGERIE

12_RCA_AUBOIN_INSIGNE_TIMBRE          12ème REGIMENT DE CHASSEURS D'AFRIQUE

                                                                            ALGERIE  1959-1960

                                          

J O U R N A L

du Maréchal des Logis Pierre JUIGNER.       12_RCA_JUIGNER_portrait_2

 

JE DEVIENS CHASSEUR D'AFRIQUE.

A peine remis de nos émotions, une rumeur circule dans notre camp d'Ouled Ali, une refonte des régiments de la 19ème D.I. (Zone Ouest Constantinois) pourrait être annoncée dans les jours prochains.

Dans l'attente de la décision et de notre avenir, la garde des chantiers pétroliers et les multiples grimpés de DJEBELS continuent.

 

Le 20 février 1959, le 21ème Dragons est dissous.

 

Je suis muté avec le 2ème Peloton au 12ème Régiment de Chasseurs d'Afrique (12ème RCA), ainsi nous devenons le 4ème Peloton (Le seul à pied) du 3ème Escadron blindé, équipé d'AM M8, de Half track M3 et de chars légers Chaffée M24 dans les autres escadrons.

Le Capitaine CHARPENTIER nous reçoit chaleureusement dans son unité basée au camp du Ksob, camp ainsi appelé à cause du barrage retenant l'eau de l'oued KSOB qu'il avait mission de protéger. Nous avons énormément déménagé depuis 15 mois, ce changement de régiment (qui fait partie de l'Arme Blindée Cavalerie comme nous les Dragons) m'a un peu décontenancé, comme les copains d'ailleurs. Notre paquetage est complété avec, entre autres, un chèche (bien utile quand les vents de sable soufflent), un béret couleur beige, une ceinture rouge (c'est l'apparat des régiments d'Afrique), un calot à fond jaune (le fond était blanc pour les Dragons).

Pour mémoire, le 12ème RCA a fait partie de la 2ème D.B. du Général LECLERC, et s'y est distingué durant la seconde guerre mondiale obtenant la Croix de Guerre 1939-1945, avec deux Citations à l'Ordre de l'Armée, nous portions la fourragère verte honorifique attribuée en 1946. Ce n'est pas tout, notre glorieux Régiment a reçu aussi de la part des autorités militaires des ETATS UNIS : La "Distinguished Unit Citation". Nous portions sur la poitrine, côté droit, l'emblème de cette distinction: Un rectangle de tissus bleu, entouré de dorure. Notre campagne du Maroc nous a valu (les anciens) de recevoir le diplôme du maintien de l'ordre dans ce pays. Notre ancienneté en Algérie nous a valu le même diplôme. De ce fait, nous portions l'insigne de la commémorative avec agrafe : Maroc-Algérie, et sur l'épaulette, l'insigne de notre précédent régiment (21ème Dragons), cela faisait vieux briscard...!

L'insigne du 12ème RCA représentait une roue dentée avec à l'intérieur une carte de l'Afrique, dans laquelle est gravée un cheval en appui sur ses pattes arrières, et sur sa gauche l'inscription : "SENEGAL", et tout autour du cercle, la devise : "Audace n'est pas déraison" !

La garde du camp du Ksob était plus cool qu'à Ouled Ali. Nous logions dans des bâtiments en dur, ce qui ne nous était pas arrivé depuis longtemps, et puis, nous avions des toilettes dignes de ce nom pour nous faire oublier les chiottes d'Ouled Ali. Ces dernières correspondaient à un monument historique ! Un grand trou creusé par la pelle des pétroliers, avec des madriers comme repose-pieds et un entourage de planches, nous pouvions faire nos besoins par groupe de 4 ou 5 quand il y avait urgence ! Ce n'était pas très intime, entre les constipés et les mecs qui avaient la dysenterie, cette diversité était un spectacle, et en plus, il était interdit de perdre l'équilibre, sinon tu tombais dans la merde !! Ces wc particuliers ne sont plus qu'un mauvais souvenir.

Le Margis Chef ENOCH a été muté, pour le remplacer, un nouveau Chef : Jean-Claude BRICHE, qui pour un temps sera l'adjoint du Sous-lieutenant (le remplaçant de AZORIN qui lui a eu la quille fin décembre).

Au début du mois de mars 1959, nous mettons pour la première fois notre tenue n° 1 de Chasseur d'Afrique, avec la ceinture rouge qui fait environ trois mètres. Elle possède trois groupes de rayures qui doivent, à la fin de notre enroulement, se trouver centrés sous notre boucle de ceinturon. On s'entraide, car on a du mal tout seul et nous recommençons plusieurs fois. Sur la photo du Peloton ci-dessous, on peut constater que c'est assez réussi, mais pas parfait.

Dans cette tenue, nous présentons les armes au Général commandant le Corps d'Armée de Constantine, le Général J. OLIE, ancien de la Légion, avec un placard de décorations, sa carrière a été exemplaire.

 

Février 1959, Peloton du S/Lieutenant CHEVANCE.

 De gauche à droite, debouts : X, J. BOURREAU, G. MERLET,  A. FLEURDEN, P. JUIGNER, M. BASTARD, FREMEAUX, B. PERIN, X, X, NADAUD. Accroupis : SICARD, GARNIER, X, CHRON, X, X.

 

Peloton du MDL JUIGNER

 

 
Après nous avoir passé en revue, il participera à une longue réunion avec les officiers du 3ème escadron.

Pendant notre séjour au KSOB, nous ferons quelques sorties opérationnelles, dont une avec les GMS (Groupe Mobile de Sécurité). Cette unité composée essentiellement de volontaires, relève de l’autorité civile comme force de police, à la disposition des militaires.

Ils sont très courageux et ont eu  des résultats nombreux à leur actif. Ceux que nous avons côtoyés étaient habillés de djellabas couleurs brunes rayées et se distinguaient des Harkis considérés comme force supplétive des militaires et eux combattaient en treillis. L’un comme l’autre de ces 2 groupes ont  été d’une grande loyauté envers la France, ils ont été trahis en 1962, avec tous les ralliés que nous avions convaincus de la parole de la France : nous ne vous abandonnerons pas, leur disions-nous, conformément aux consignes ?

Dans ce camp du Ksob, nous avons fait quelques matchs de volley, pour la première fois en Algérie, avec les moyens du bord, car aucun budget n’était octroyé au sport, décevant, d’autant que des cartes étaient vendues en métropole (voir l’exemplaire que j’ai reçu par un copain) pour fournir des équipements aux soldats d’AFN :

                      Où est passée cette manne ?

Sur la départementale N° 8 entre Bordj Bou Arréridj et M’Sila nous avions mission de faire des ouvertures de route sur les sommets qui bordent cette route, nous disions grimper sur le 816 ou le 734  cote mentionnée sur les cartes d’Etat Major, nous restions sur les sommets des heures à surveiller, afin de protéger les usagers de ce tronçon, ce n’était pas une tâche pénible.

Au mois de mars 1959  j’ai eu mes premières rages de dents qui me faisaient énormément souffrir, dans le bled pas question de se faire soigner, alors j’endurais mon mal. Je pense que ces maux étaient provoqués par une carence alimentaire : continuellement conserves, rations, et surtout manque de fruits et légumes ? Peut-être aussi que les privations de mon enfance pendant la guerre 39-45, pouvaient y contribuer ? Ces affections se  terminaient toujours par un gonflement de la  gencive et de la  joue (la chique). Un soir que je souffrais de ce mal, il y eut un arrosage pour le départ à la quille d’un copain, j’ai bu plus que de raison, et miracle le lendemain matin, la chique avait disparu et le mal endormi par l’alcool. Ce n’est pas pour ça qu’il fallait que je devienne alcoolo, et que je prenne une biture à chaque mal de dents, mais avec la petite fiole de gnole qu’il y avait dans la boîte de ration, lors des crises suivantes, je buvais une gorgée d’alcool que je gardais un moment dans la bouche et je le recrachais, le remède était plus ou moins efficace ! La nécessité d’être toujours à la disposition du 2ème Bureau prêt à partir, m’obligeait à ne pas trop m’apitoyer sur mes bobos.   

 

 JE RETROUVE LA FERME SAR.   

 

Le Capitaine CHARPENTIER désigne notre 4e peloton pour occuper le site de la Ferme SAR que nous avions fortifié avec le 1/21èmeDragons.

 

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Le Margis chef  BRICHE devient chef de peloton et je serais son adjoint. Cette ferme est située environ 3 à 4 Km de M’Sila. Cette fois nous serons seuls avec un peloton cynophile (d’une dizaine de chiens), ce dernier est dirigé par un Sous-lieutenant vétérinaire, un Margis, et un Brigadier (tous les 3 des appelés).

 

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                                                                                                          Collection G. Merlet

Cette mutation a été demandée par le Commandant LEDUC qui dirige le renseignement à M’Sila (2ème bureau) il souhaitait avoir un peloton (à pied) à sa disposition pour partir rapidement sur informations. Un téléphone (posé sur un tabouret) prés de mon lit contribue à recevoir les appels du commandant de jour ou de nuit.

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Tout le monde logera dans les bâtiments de l’ancienne ferme. Pour ma part, j’ai une piaule à 2 lits que je partage avec le Sous-off du peloton cynophile. Les chiens rendront un sérieux service, puisqu’ils monteront la garde, attachés, selon la formule « trolley », ils navigueront sur la partie ouest et sud du camp, parties selon nous, les plus exposées ? La partie est, côté oued, les barbelés sont un rempart suffisant, en cas d’attaque , les assaillants seraient à découvert.

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Au nord, un chemin traverse le camp, les habitants de l’est de M’Sila sont autorisés à passer selon un horaire établi, uniquement dans la journée. Pour condamner ce chemin, nous avons décidé avec le chef, de piéger la frise de barbelés (servant de fermeture) avec une ou deux grenades offensives, tâche que j’ai accepté d’exécuter chaque fois que je serais présent. Nous découvrirons plus tard que le piège était efficace. Il faut dire que ce passage n’était pas visible de la tour, d’où la présence de ce que j’appellerai : une sonnette ?

 

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le chien PAXEL qui a grimpé sur un blindé

 

 

Eté 1959 - à la ferme SAR - de gauche à droite : MDL/Chef BRICHE, Chasseurs ROUSSEAU et DEBEURRE, MDL JUIGNER. 

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J’étais satisfait d’être aux côtés de Jean-Claude BRICHE, notre nouveau chef de peloton, ce n’était pas un appelé, mais tout comme. Il avait été obligé de s’engager (raisons privées) 5 ans (il en passera plus de 3 en AFN). C’était mon chef avec tout le respect dû à la hiérarchie, mais aussi un copain, il respectait tous les membres de son peloton et son commandement était respecté de tous, pas de coups de gueule, il faisait régner l’obéissance et la discipline avec droiture et diplomatie. Cette façon de diriger renforçait la solidarité entre les gars, c’était un plus dans les missions difficiles.

Le seul poste de garde avait lieu sur un mirador construit au-dessus de la piaule du véto (vétérinaire). Pour que cette surveillance des alentours soit améliorée la nuit, j’avais fabriqué (chaudronnier oblige) un phare rudimentaire avec deux bidons vides de l’armée et du matériel électrique commandé au fourrier de l’escadron. Il pivotait à 360°, n’éclairait pas très loin, mais il était dissuasif ?

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Nous organisons avec nos collègues du peloton cynophile, la garde de la ferme. Les maîtres-chiens ne monteront pas la garde quand notre peloton ne sera pas de sortie, et à l’inverse, cette garde sera à leur charge. Les cynophiles ne feront que très peu d’opérations.

Pour connaître notre environnement, dans les premiers jours, nous faisons quelques patrouilles, dans les environs immédiats, découverte du type de terrain, nous prenons contact avec les mechtas voisines. Les habitants sont pauvres, très courtois avec nous, le dialogue s’installe, nous leur promettons de venir régulièrement, ce qui sera chose faite dans les semaines qui viennent, en effet, pour améliorer l’ordinaire, nous viendrons en tant que client, acheter : œufs et poulets (les volailles, et une seule vache, sont leurs seuls revenus).

Proche de la ferme, un barrage de petite dimension retient les eaux de l’oued Ksob, en aval de celui-ci, une étendue d’eau permet de nous baigner, et surtout quand nous rentrons crevés de nos sorties opérationnelles, nous apprécions. Dans ce mois d’avril 1959 ce n’est pas encore les chaleurs caniculaires que l’on a connues l’an dernier, en juin, juillet et  août 1958, le printemps Algérien est très agréable, nous dormons assez bien, les chacals par leurs cris désagréables nous réveillent toutes les nuits, fatigués des journées de marche nous finissons par nous habituer à leurs hurlements.

 

Vers le 15 avril 1959, le commandant LEDUC impose à notre peloton d’accentuer une présence jour et nuit dans la ville de M’Sila par des rondes de dix à douze hommes. Le 19 doit avoir lieu les élections municipales, la crainte de menaces et d’attaques terroristes sur les électeurs et personnalités, toujours possibles lors de ces consultations, sont les raisons de ces précautions.

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Pendant 4 jours, nous sommes mobilisés pour cette tâche et la population de M’Sila paraît rassurer de cette initiative. Les anciens combattants musulmans de 1914-1918 bardés de nombreuses médailles nous saluent au  passage, ils aiment converser avec nous. Certains payent de leur vie, par des attentats odieux, leur attachement à la communauté Française. Ils sont la cible des jeunes fellaghas qui voient en eux un danger pour leur révolution,  alors que ces anciens ont été un exemple de courage et loyauté, aussi bien lors de la première guerre mondiale que de la seconde où sous les ordres des généraux de LATTRE ou  LECLERC, ils ont réalisé des actes de bravoure, et nombreux sont ceux qui sont morts pour la France. Les jeunes soldats que nous sommes, avions le plus grand respect pour ces héros, à mon avis la nation Française aurait dû être un peu plus généreuse et reconnaissante envers ces libérateurs.

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Le résultat de cette élection : Monsieur FOURNIER est reconduit à son poste de maire, il est très estimé de la population en grande majorité musulmane, il circule dans la ville très librement, sans protection, alors que des quantités de maires ont été assassinées, depuis 5 ans, dans toute l’Algérie. Les rebelles font des victimes parmi ces maires, qu’ils soient de confession musulmane ou chrétienne, ainsi que les préfets qui représentent  l’administration Française.

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 En 1959, M’Sila est une commune d’à peine 15000 habitants, située entre les monts du Hodna et le Chott Hodna, la rivière El Ksob borde la ville où vivent très peu d’Européens, la majorité de ceux-ci travaillent pour l’avenir de l’Algérie. Soit l’irrigation (la Sté SOCOMAN assure ces travaux) soit le pétrole (station de pompage importante dans cette commune).

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La capitale du Hodna est très commerçante, son souk attire des milliers de fellahs (paysans) de toute la plaine et des montagnes.

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 Dans toute l’Algérie, le FLN est organisé en 5 régions militaires, appelées : Wilayas, M’Sila se trouve au carrefour de 3 wilayas : La I, la VI, et la III qui a été rendue célèbre par AMIROUCHE. Cette situation géographique a une très grande importance stratégique, c’est un passage obligé des rebelles venant de TUNISIE. Entre 1955 et 1956 il y eut beaucoup d’attentats à M’Sila et sa région, école sabotée, poteaux de lignes téléphoniques sciés, assassinats de gardiens de la paix etc….Pour l’histoire, en avril 1956, un régiment de Chasseurs d’Afrique  (le 3ème RCA) avec à sa tête le colonel ARGOUD, fût envoyé pour faire régner la discipline. Ce fût fait, avec beaucoup de zèle, à la limite de la terreur, par des initiatives pas toujours conformes à la morale. Content du travail accompli ! Il quittera la ville à la fin de cette même année.

Par la peur, le calme revint à M’Sila, puis vinrent le 12ème RCA et son ECS (Escadron de Commandement et de Service) placé en plein cœur de la ville. Avec ses engins blindés, la dissuasion était présente, il représentait également le commandement de quartier.

Ils faisaient journellement des sorties en AM M8 ou en Half Track pour rassurer les populations, et  les jours de souk, c’était notre peloton qui patrouillait à pied  parmi cette énorme foule.

Une autre mission qui nous incombait, je faisais à la tête de quatre gars, des contrôles routiers, ils avaient lieu au bord de la route D8, au bout du chemin qui menait à notre ferme (300m environ). Contrôle de police : pièces d’identités, fouilles sommaires aux corps, plus sérieuses dans les sacs et bagages, avec nos éternels questions dans les quelques mots Arabes que l’on connaissait :

Salam aleikoum, on nous répondait : wa aleikoum as salam, et ensuite nous enchaînions : macache mitraillouses, macache bomba ? 

Ils répondaient, soit en souriant, soit l’air innocent et grave : makache ! Nos autres mots les plus employés : lebes (ça va bien) choukran (merci) - naham (oui) - lâ (non) - kahoua (café) - fissa (vite) - fellah (paysan) - fellagha (paysan armé) - flouz (argent) maâ (eau) - hasma (écoute) - macache (pas de) - chouf (regarde) - Qif (arrête) - l’alouf (porc).

Pour info, on connaissait aussi : el aatay (homosexuel) mot que l’on n’employait pas lors des contrôles. Le dialogue s’engageait le plus souvent en Français, la majorité le parlait ou le comprenait. Les chibanis (personnes âgées) nous confiaient leurs craintes de voir la France quitter l’Algérie un jour, car disaient-ils, si c’est le cas, il régnera une dictature nous privant de libertés ?

L’obligation de payer l’impôt, dit «de révolution» au collecteur de fond qui les menaçait, certains fellahs étaient furieux (ils vivaient très pauvrement) Certains se confiaient à nous, d’autres se taisaient de peur de représailles !  Ces collecteurs, malgré nos recherches, étaient introuvables, ils ressemblaient à n’importe quel habitant en djellaba, et soutiraient l’argent surtout la nuit, nous ne pouvions pas être partout dans le bled quand il faisait leur sale boulot. Cet argent servait à acheter des armes ou des équipements militaires pour le FLN.

Lors d’un banal contrôle routier, je vois arriver de très loin, un couple se rendant de toute évidence au souk (marché arabe) de M’Sila, l’homme est assis, à l’aise sur le bourricot trottinant, la femme marche à ses côtés, avec un sac semblant assez lourd car elle est pliée en deux la pauvre, je dis à mes copains « nous allons tenter quelque chose quand ils vont arriver sur nous ? » Les vérifications sont faites (contrôle des papiers et du chargement). Puis je fais la morale à cet homme, je le prie de descendre de l’animal, afin de faire monter sa femme à sa place, il ronchonne, puis exécute mon ordre, une fois descendu nous lui mettons le sac sur le dos et : hue cocotte ! Voilà le couple reparti, avec les rôles inversés….Hélas pas pour longtemps, à une centaine de mètres de nous, il fait descendre la Fatma, on le voit gesticuler de mécontentement, il lui recolle la charge sur le dos, et il remonte tranquille sur la bête ! Morale de l’histoire (Non ! ce n’est pas de La Fontaine) nous ne pouvons rien changer à leurs coutumes et façon de vivre et nous le regrettons.

Sur certaines cartes d’identités que nous contrôlons, il est mentionné seulement, le nom, le prénom, le lieu d’habitation (douar) mais il est omis un renseignement important : leur date de naissance ? L’absence d’état civil et l’ignorance des parents dans les années 1900 dans le bled et les montagnes. Nous essayons de pallier cette carence, approximativement, ils tentent de nous renseigner en nous parlant  des levées du jour pour la saison de leur naissance, et pour l’année, c’est à nous de juger de l’âge, ce n’est pas facile, le teint buriné de fellah fatigué, ne favorise peu l’estimation ? Tout se passait bien avec des échanges ponctués d’humour et de sympathie partagée, ainsi nous rajoutions sur leur carte : présumé né en … !

Au début de mai 1959, nous sommes de surveillance pour les travaux d’irrigation (dont la SOCOMAN est maître-d’œuvre) dans la plaine au sud de M’Sila, ces travaux permettront d’arroser des milliers d’hectares avec des canalisations d’eau provenant du barrage du KSOB (que garde notre 3ème escadron). Notre peloton pour cette tâche est scindé en 3 groupes, qui se relaient  toutes les 8 heures. Cette garde durera, concernant notre peloton, une dizaine de jours, ensuite un autre groupe nous relayera.

Dans le Chott El Hodna, au sud, les ratissages se succédaient parmi les tentes de nomades appelées khaïma (se prononce raïllema). Il fallait user de diplomatie pour pratiquer la fouille à l’intérieur des guitounes, car les femmes étaient très agressives, nous contrôlions, en préservant leur intimité, et surtout nous remettions en place tout ce que nous déplacions. Les règles, concernant les fouilles, étaient très strictes : pas de vols, cela va de soi, pas de détériorations, les Officiers sont d’une sévérité exemplaire contre les contrevenants.

 


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Par exemple, j’ai assisté un jour à une plainte d’un habitant qui avait constaté la disparition d’un objet en cuivre. Le capitaine a rassemblé tout le monde, et super humiliation, nous avons dû vider nos poches et sacs à dos complètement. Le coupable piégé, s’est évidemment dénoncé, punition requise : prochaine permission supprimée, mutation dans un régiment disciplinaire et possibilité de faire du rab de service militaire.

L’honneur de l’armée ne devait pas être salie par des actes de délinquance, je ne sais pas si tous les régiments ont pratiqué cette discipline, mais chez nous au 12ème RCA, c’était comme ça, le Colonel tenait à ce que son régiment soit exemplaire vis-à-vis de la population autochtone. Ces gens, d’ailleurs, étaient extrêmement chaleureux lors de nos visites, un kawah toujours offert avec gentillesse, ce café selon leur recette contenait : moitié liquide, moitié épices, après la surprise des premières tasses (lors des premiers mois en AFN) leur café nous était à présent familier. 

Le temps devenait chaud déjà en mai, aussi quand nous avions beaucoup crapahuté, il nous était agréable de retrouver notre plan d’eau près de la ferme. Quel bonheur cette eau un peu fraîche avec baignades ponctuées de plaisanteries, chahuts en tout genre, sous la garde bien évidemment d’une sentinelle que nous faisions remplacer afin que tous profitent de cette décontraction. Cette baignade, un 15 mai 1959, se termina par un accident : Jean-Claude BRICHE, notre chef de peloton heurta de la tête en plongeant, un rocher qui affleurait la surface de l’eau. Nous l’avons transporté groggy à la ferme, où il resta un long moment commotionné, il insista pour que nous n'appelions pas le toubib de l’escadron, notre peloton étant d’alerte 24h sur 24, il avoua que cela  justifiait sa décision. Les effets de ce choc se sont révélés longtemps après dans le civil par un suivi régulier chez son médecin pour de violentes migraines, sans qu’il n’eût droit à réparation, malgré les témoignages de ceux qui avaient assisté (j’en étais) à cet accident.

Son sacrifice au profit de sa mission de chef de peloton n’a pas été reconnu et c’est injuste. Pour ma part, mes maux de dents à répétitions et mes gencives qui saignaient couramment (symptômes du scorbut) n’ont entraîné aucun dédommagement non plus, au retour dans la vie civile, j’ai dû me faire arracher plusieurs dents, et une majorité de kystes sous les autres, mes 20 ans dans le djebel ont détérioré ma dentition (nourriture pas assez variée évidemment).

 

DECOUVERTE DE CACHES

 

Le 25 mai 1959, un appel du Commandant LEDUC (ce n’est pas le téléphone rouge, le nôtre était noir) tout le peloton doit partir en camion vers M’Sila où nous rejoignons la jeep du « vieux ». Un interprète, un rallié et un Officier du renseignement se sont joints à lui.

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Ordre est donné de nous diriger vers la plaine d’Ouled Mansour à une dizaine de kilomètres de la ville. Le patron du 2ème bureau a appris la présence de rebelles dans ce secteur, ce qui nous étonne c’est que ce terrain très plat, ne possède pas de relief pouvant servir de refuge, à part les plantes d’alfa répandues ça et là, celles-ci ne peuvent pas cacher un homme ?  Rien ne laisse supposer que nous allons trouver des Fells.

Le Commandant demande au Margis chef ainsi qu’à moi, d’aligner les hommes du peloton en laissant 2 m entre chacun, afin d’exécuter un ratissage. La marche commence lentement et le silence absolu est exigé, je scrute comme tout le monde le sol qui s’étale devant nos yeux, nous avons cheminé environ 200 m, soudain des voix, conversation en arabe provenant de je ne sais où car nous ne voyons rien !!

Notre  ratissage se trouve donc ralenti, sans bruit afin de déterminer  l’endroit d’où viennent ces voix, on en déduit que cela ne peut venir que du sol ? L’approche est haletante, nous sommes tout près, le chef et moi-même nous faisons signe à chacun de nos groupes d’exécuter un mouvement circulaire pour entourer le lieu suspect, la manœuvre accomplie, nous resserrons les rangs et, stoppons là. Au milieu de notre dispositif, nous décelons une bouillée (en Touraine cela veut dire une touffe) d’alfa moins vert que celles qui nous entourent. C’est anormal, nous l’enlevons avec beaucoup de précautions, cela pourrait s’avérer être un piège avec explosifs, ce n’est pas le cas, je découvre en même temps que tous mes copains un carré ouvert dans le sol, de 80 cm de côté environ (ressemblant à une lucarne). Ouverture réalisée avec des planches qui retiennent la   terre sur le pourtour, et en son  centre un grillage, à 20cm du sol. Celui-ci servait à retenir la plante qui cachait cette ouverture, et permettait bien sûr l’aération de cette cache.

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L’interprète qui accompagne à chaque sortie le commandant, leur intime en arabe, l’ordre de se rendre, plusieurs minutes après une tête apparaît, sans doute pour constater réellement combien nous sommes et de s’apercevoir qu’ils sont cernés, d’ailleurs nous ignorons combien ils sont dans ce trou. Consigne a été donnée surtout, de ne tirer que sur ordre, nous devons faire des prisonniers.

L’attente commence selon le bon vouloir des occupants, ceux-ci doivent être en plein conciliabule sur la décision à prendre. Ils n’ont pas le choix et ils le savent bien, si une rafale partait de chez eux, immédiatement les grenades offensives seraient là pour les assagir. Après un bon quart d’heure, un homme s’agrippe sur les flancs du trou et sort. J’accompagne BRICHE pour le prendre en charge et pour le fouiller à l’écart. Il possède une musette, et le danger d’explosif est toujours à craindre, le chef examine l’intérieur et découvre une quantité de billets de banque de 5000 et 10000 francs (les nouveaux francs n’apparaîtront qu’en 1960) nous avons entre les mains un collecteurs de fonds du FLN !! Avant de remettre la musette et le contenu au Commandant, tous les deux, prestement nous soustrayons discrètement quelques billets dont nous faisons chacun une boulette, que nous dissimulons aux fonds des étuis de nos armes. Cette modique somme servira à acheter de la nourriture pour tous les occupants de la ferme SAR , nous améliorerons l’ordinaire. Nous ne culpabilisons pas, car nous ignorons à qui la grosse somme est destinée ? Alors, nos privations valent bien ce petit écart !

Le prisonnier, sous bonne garde, rejoint le camion. La musette du collecteur est remise au vieux. Le temps passe et un seul homme est sorti ! Ils sortiront, un par un, toutes les 10 minutes en nous narguant, ils étaient cinq dans ce refuge enterré. Une autre cache, un peu à l’écart ne recélait que du matériel et de l’armement. Les deux caches sont démontées par tous les membres de notre peloton, la construction est remarquablement bien faite : 80m3 environ, le volume de la partie creusée, des bastaings et des planches revêtus de terre assuraient la couverture, la petite fenêtre assurait la descente et la sortie.

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Les camions sont chargés de tous les éléments bois qui constituaient la structure, cela représente un volume important. Chargement également des divers matériels contenus dans l’autre cache : machine à moudre le grain –machine à imprimer –machine à coudre – des armements divers et des vêtements militaires confectionnés par leurs soins. Dans le tas de vêtements, J.C. BRICHE et moi, nous garderons chacun une casquette (vert foncé), bien trop grande pour nous, elles devaient êtres prévus pour des grosses têtes ? Avant de quitter le site, nous balançons des grenades dans les deux fosses pour écrouler les parois. Je me pose la question : comment ont-ils déjoué la surveillance aérienne pour creuser, puis évacuer la terre, dans cette plaine déserte ?

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12_RCA_JUIGNER_Casquette

 

Dans les jours qui suivent nous apprendrons que les prisonniers acceptent de se rallier au service de la France, le Commandant LEDUC est très adroit pour retourner un rebelle dans le camp adverse.

À la ferme SAR, nos achats de bouffe améliorée avec le pécule récupéré, font des heureux : des poulets –des fruits –des légumes –du beurre –et de l’épicerie que l’on n’a pas l’habitude de voir dans nos plats, cet argent a été bien employé pour le bien être de tous.

Les patrouilles en ville les jours de souk, ont repris leur train-train, avec un contrôle particulier sur tous les transports de bois (planches, madriers, poutres, etc.), la technique de fabrications des caches, de notre dernière opération, a rendu méfiant notre groupe.

En cette fin mai 1959, nous voyons arriver un paysan, son dromadaire est chargé de 4 bastaings (deux de chaque côté de la bosse, bien ficelés) Il se présente devant nous, je fais signe à cet homme de s’arrêter pour vérifier ses papiers, je l’interroge sur l’origine de l’achat du bois, et quelle utilisation il compte en faire. Cet interrogatoire a été long, aussi, le dromadaire ne l’a pas apprécié, il s’est mis à remuer, et, subitement à tourner, il m’a fallu un réflexe instantané en me baissant, pour ne pas être assommé par les madriers. Par contre ceux-ci, dans le mouvement circulaire, ont frappé les joues de l’animal, de colère, il a redoublé de violence, plus il tournait, plus les madriers le heurtaient et lui faisaient mal, plusieurs personnes sont venus nous aider à calmer la bête en furie. Finalement, cela s’est terminé sans blessé, notre mission de « policier » comportait des risques, on n’en a  jamais douté !

 

CAS DE CONSCIENCE : DOIS-JE DONNER L'ORDRE DE TIRER ?

 

Le 4 juin 1959, dans la soirée, le chef me commande de choisir 5 gars de mon groupe, avec armement léger, pour aller tendre une embuscade à l’est de la ferme, à 7 ou 8 Km.

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Le chef rend compte au Commandant de quartier de son initiative, et décrit le secteur où nous nous rendons, afin de ne pas faire rencontrer deux patrouilles Françaises (c’est déjà arrivé, avec des victimes) A la nuit, vers 22h, nous partons. Je choisis l’endroit idéal pour tendre l’embuscade, nous nous mettons en position couchée, derrière des amas de grosses pierres, nos pistolets-mitrailleurs prêts à tirer sur mon ordre. Une heure d’attente, rien à signaler, soudain dans un faible rayon lunaire 3 ou 4 hommes en djellabas blanches franchissent, à environ 150m de nous, une dénivellation, puis un groupe estimé à une quarantaine d’hommes armés, se dirigent plein sud, par l’est de M’Sila. Dans ma tête, cela gamberge, en nette infériorité numérique, dois-je mettre la vie de mes cinq compagnons en danger (nos armes légères contre probablement un Fusil Mitrailleur dans les mains des rebelles) mon choix est fait, je décide que nous retournions très rapidement donner le renseignement à la ferme, le chef fera suivre au Commandant de quartier. J’arrive avec mes gars au camp, J.C. BRICHE commande à tout le peloton de se mettre en route (avec nous six repartis, cela fait 25 éléments) nous allons ratisser derrière la bande de HLL (hors la loi) que nous avons aperçue. Pendant ce temps, les blindés de l’escadron de M’Sila se sont mis en route, ils arrivent sur notre droite, à l’aide de leurs puissants phares, ils arrosent la plaine.

Pas d’individus dans les faisceaux de leurs autos mitrailleuses, le bruit des engins leur a certainement donné l’alerte, et permis de changer d’itinéraire, probablement, pour aller se réfugier dans les monts du HODNA ? Vers une heure du matin, nous rentrons bredouilles, je me pose la question, ai-je bien pris la bonne décision ? Mon supérieur me rassure.

Dans les jours qui ont suivi, nous avons multiplié les sorties de nuit. Une embuscade, tendue par mon groupe de 12 gars, s’est déroulée dans la plaine au nord de notre poste, en direction, mais bien avant le très haut djebel Maâdid. Ce secteur est réputé être un passage obligé des rebelles ? J’ai choisi de nous mettre en planque sur une surface où les nombreuses grosses pierres représentaient une protection efficace en cas d’accrochage. Dans l’obscurité, distance de 2 à 3 m les uns des autres, avec attention et vigilance, l’attente commence.

Notre coucher dans les cailloux n’est pas confortable, en bougeant pour changer de position (des galets me rentrant dans le ventre), sous mon corps, j’ai l’impression que le sol se tasse avec de légers craquements ? Je chuchote avec mes voisins, et, ils me disent ressentir le même phénomène ? La nuit se déroule sans rencontre étrangère. Le jour se lève et nous fait découvrir l’endroit, nous étions postés sur un très ancien cimetière musulman abandonné, les pierres plates s’élevant vers le ciel indiquent l’emplacement des tombes. Il faisait nuit lors de notre installation et rien ne laissait supposer ce que pouvait être cet emplacement, gêne et émotion m’ont perturbé, le camp est levé, retour à la ferme.

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La très forte chaleur de ce mois de juin nous oblige quand nous partons crapahuter pour la journée, de prévoir d’emmener deux bidons d’eau. Cela représente un surplus de poids sur notre ceinturon, il supporte déjà les cartouchières, mais c’est un poids nécessaire. La soif est une hantise, on doit prendre nos pastilles toni-hydratantes en même temps que l’on boit et les pastilles de clore quand on n’est pas sûr de notre liquide. Pour conserver l’eau le plus longtemps fraîche, la toile qui enveloppe la gourde est humidifiée. Lors de cette journée de canicule, les deux récipients ont été trop vite avalés pour chacun de nous, malheureusement ils nous restaient encore une dizaine de kilomètres sur la route du retour ?

Notre chemin a croisé un brave fellah, assis sur son bourricot, devant lui, en travers de son animal, une grande outre en peau de mouton remplie d’eau. Je lui dis bonjour (Salam Aleikoum), il me répond la main sur le cœur, j’essaye de sortir les quelques mots d’arabe que je connaisse ! hasma (écoute) en montrant ma gourde vide, je dis : macache ma’a  (plus d’eau), je lui fais signe de remplir nos bidons moyennant flouz (argent), il me répond : mâchi (d’accord) lâ  flouz (Non pas d’argent). Dans leur religion et leurs coutumes, l’eau s’offre, mais surtout ne s’achète pas, donc je ne veux pas l’offenser, et j’acquiesce. Les gourdes sont remplies, je suis un peu gêné, sa réserve a été vidée aux deux tiers, obligation pour lui, de retourner à son lointain point d’eau. Je lui glisse dans sa djellaba les billets que les copains et moi avons collectés, en rajoutant : choukran (merci) et au revoir de la main. L’eau qu’il nous a si gentiment offerte a un petit goût de goudron, leurs outres en sont toutes revêtues intérieurement, pour l’étanchéité et probablement pour la conservation. Ce n’est pas gênant comme saveur, du moment que l’on étanche notre soif. De plus, nous rajoutons à cette eau les pastilles de purification (à base de clore), elles sont bien utiles quand nous rencontrons des eaux douteuses.          

 

 FAITS DIVERS A LA FERME SAR

 

J’aurais pu raconter aussi les péripéties et faits divers arrivés à la ferme en juin 1959, en voilà quelques exemples : Sans doute piqué par un sale insecte, il me vint dans le cou, une grosseur, du volume d’un œuf de pigeon, de couleur très brune. Cela ne me faisait pas souffrir mais c’était gênant. Je profite d’être en patrouille à M’Sila pour contacter l’infirmier de l’escadron, je lui demande conseil, et surtout comment soigner cette protubérance ? Il inspecte la chose, puis il part chercher des outils. Il revient avec une seringue munie d’une grosse aiguille de deux millimètres de diamètre, environ, il enfonce celle-ci dans la boule de sang, puis pompe le liquide noirâtre, tamponne avec de l’alcool, applique un sparadrap, et il me dit en blaguant : tu es bon pour continuer la guerre ! Il n’y a pas eu d’infection à suivre, j’ai continué comme il m’a dit : la guerre…

Un matin que nous partions en mission, je découvre, inscrit sur le chapeau de brousse de Zajak (supporter du Racing de Lens) : le mot « CH’TIMI » écrit au stylo, sur le devant de son chapeau. Copiant son initiative, chacun, le soir, mentionne sa région. J’ai marqué sur le mien : «TOURAINE » pour ne pas renier ma belle province, et enfin GATIAUX, le robuste porteur de FM (il a remplacé FOURNET libéré), fils d’un forain, avec de l’humour, et ne voulant pas être en reste avec tous les copains, il a marqué « SDF », n’ayant pas de région attitrée !

Les parties de Poker à la ferme étaient très disputées, nous jouions nos paquets de cigarettes de troupe (paquets blancs, tabac de goût excellent) Quand nous n’étions pas de sorties opérationnelles, les parties pouvaient durer jusqu’à  deux heures du matin. Le véto et le chef étaient les plus forts à ce jeu de tromperie ! Pour finir, avant d’aller se coucher, ce sont les cartouches entières qui étaient jouées, cela représentait une montagne sur la table de jeu ? Des soirées sympathiques pendant lesquelles les bières se buvaient abondamment.

Un Parisien, FRETY, un peu vantard et fanfaron (dans la journée), ses nuits de gardes étaient souvent ponctuées de coups de feu sur des ombres ou des personnages imaginaires, il avait la trouille. C’est humain, mais ses fantaisies coûtaient deux heures de sommeil en moins à l’ensemble du peloton, nous étions obligés de scruter autour du camp pour s’assurer que personne n’avait pénétré, nous restions éveillés et sur nos gardes ! Il nous fit le coup deux ou trois fois, finalement, nous ne le prenions plus au sérieux, il se calma, charrié par ses camarades.

Lors d’une baignade, je m’étais aperçu que dans notre Oued de proximité, il y avait des poissons (ressemblant à des chevesnes) Pour rajouter un peu de diversité à notre nourriture, certains émirent l’idée de pêcher. Oui, l’idée est bonne, mais pas de cannes à pêche, par contre nous avons des filets : les moustiquaires, nous avons des explosifs : les grenades « offensives », ainsi les deux associés vont faire une partie de pêche ? Je propose d’en lancer une dans le trou en face de moi, là où il y a le plus d’eau, les gars du peloton sont tous là en spectateurs, sur les deux rives, sauf trois qui sont dans l’eau, à une dizaine de mètres en aval, pour récupérer (en principe) les poissons, avec nos fameuses moustiquaires ?

Premier lancer : pas assez loin, nous n’avons que très peu de poissons dans le filet.

Deuxième lancer : je prends mon élan, pour lancer là où il y a trois mètres de fond, je n’ai pas maîtrisé ma force, car la grenade au lieu de tomber dans l’eau, alla choir sur la rive en face. Aussitôt, ce fut le sauve qui peut général, les copains, spectateurs, couraient dans tous les sens pour se mettre à plat ventre et le plus loin possible de l’explosion. La déflagration passée, ce fut un autre éclatement, de rire cette fois, ma maladresse a fait jaser, et tous m’ont raillé, je le méritais. Petite précision : une grenade offensive déclenche un souffle violent, sans éclat, seule la cuillère est dangereuse et peut être mortelle. Une autre fois, avec un lancer dans la cible, la pêche a rapporté plein de poissons !

Un brigadier du peloton : DUCHESNES faisait un footing avec deux ou trois autres, au crépuscule, lors du sprint, il ne sait plus rappelé d’un câble tendu à 1m50 du sol , que les pétroliers avaient laissé, il se l’ait pris entre la lèvre et le nez, se blessant gravement. Conduit par ambulance à Bordj Bou Arreridj, il revint après une semaine avec deux cicatrices (lèvre et nez) impressionnantes.

Une nuit de juin, je suis de quart, et, comme à l’accoutumée, je fais ma ronde autour de la ferme : RAS.  Ensuite je vais rendre visite au gars qui monte la garde sur le mirador, je grimpe à l’échelle qui permet d’y accéder, là, je découvre notre sentinelle assoupie. Je l’ai réveillé sans ménagement, je lui passe une sérieuse engueulade et je lui  rappelle que plus de trente bonhommes comptent sur lui pour dormir tranquille, et qu’il néglige la plus élémentaire des sécurités, celle de surveiller pendant ses deux heures de garde, il faut te secouer mon vieux, tu es fatigué, tout le peloton l’est. Je ne fis aucun rapport et j’ai gardé pour moi, ce grand manquement à la discipline, et à la confiance collective. Je ne voulais pas qu’il subisse une punition du type : faire du rab, par un maintien sous les drapeaux ? Il m’a remercié, et promis de ne plus récidiver.

L’amélioration de l’ordinaire passait aussi par des bonnes omelettes, faites d’œufs frais, nous allions les acheter à proximité de notre camp. Le prix n’était pas discuté, les fellahs vendeurs, très pauvres ne méritaient pas que nous les exploitions. Devant leurs gourbis, ils empilaient les bouses de vache séchées, des galettes, qui leur servaient à faire du feu. Un jour, un de ces paysans, brave père de famille, proposa de nous vendre sa fille de treize ans. La morale lui fut faite : laisser grandir votre gamine, et  laisser lui plus tard le choix de son futur mari ? Il nous expliqua : Leurs traditions voulaient que, les filles obéissent au père quand il négociait avec un éventuel futur époux. Nous n’avons pas insisté ….

DEBEURRE, maître-chien, (son Berger Allemand : Sorro était le plus gentil du peloton cynophile) avait accepté la tâche de tenir un mini foyer à la ferme, il vendait de la bière dans une pièce réservée à cet effet. Une bonne ambiance y régnait, la joie de se retrouver entre copains après une journée éreintante, en buvant une bière fraîche. Lors d’une sortie, un gars de notre groupe avait ramené un caméléon et l’avait mis dans le laurier du foyer. Cet animal est devenu un véritable jouet, chacun de nous lui proposait, à environ quinze centimètres de sa tête, une mouche, sa langue venait rapidement la happer, nous ne sentions rien ?

Le MDL JUIGNER et le chien Sorro.

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Un fellah descendu des djebels proches, arrive à notre ferme, un enfant dans les bras, pour demander notre aide. Son petit garçon s’était fait piquer par un scorpion noir à la tête, lors de son sommeil, il était affolé et je comprenais sa détresse. Malheureusement nous n’avions pas à la ferme de sérum anti-scorpionique, notre trousse de soins ne contenait que du premier secours (par contre, le vétérinaire possédait une importante pharmacie pour soigner les bobos des chiens). Nous avons prévenu M’Sila pour qu’ils envoient une Jeep, afin de les conduire et soigner très vite ce bambin à l’hôpital, conscient  que chaque minute comptait pour lui sauver la vie. Il y avait beaucoup de remords de notre part, de ne pas avoir eu les moyens de soigner cet enfant, dans notre poste isolé, l’équipement était succinct.

J’avais recueilli un jeune chat, je l’ai appelé « BAROUD ». Je le gardais dans ma chambre habituellement, sauf, quand j’étais présent à la ferme, je le sortais, pour qu’il fasse ses besoins. Lorsque j’étais en opération, il m’a fait le coup plusieurs fois, il chiait dans mes pantoufles (ce n’était pas la vue, mais l’odeur…) Le petit voyou se vengeait, mais il m’apportait tellement de réconfort par sa gentillesse.

Ayant récupéré de la très solide toile kaki de l’armée, j’avais joué les couturières pour confectionner un plastron, il a remplacé mon brêlage (porte-étuis en cuir de pistolet mitrailleur)) Plus pratique pour crapahuter, il a remplacé avantageusement ce brêlage disgracieux qui faisait du poids sur mon ceinturon en se balançant dans tous les sens. Lors d’une opération, j’avais trouvé ce genre de porte-étuis sur la poitrine de troupes aéroportées et cela m’avait plu. Nous n’étions pas considérés comme troupe « d’élite », ni troupe « des litres » d’ailleurs car nous étions très sobres, notre équipement « radio » avec le SCR 300 de 17 kg ne brillait pas par sa performance. L’attribution du  poste de dernière génération : ANPRC 10, plus léger (11 kg), et plus performant, n’était pas pour un peloton de chasseurs d’Afrique comme le nôtre ?

Pauvres troupes de secteur, tous les livres d’histoires sur la guerre d’Algérie (et j’en ai acheté beaucoup depuis mon retour à la vie civile), prétendent, dans leurs écritures des évènements, qu’une vingtaine de régiments seulement avaient fait la guerre d’Algérie ? Les grands pontifes ne voyaient que par les Léopards. Notre continuelle présence près de la population a fait beaucoup pour que la paix revienne dans notre secteur de M’SILA, historiquement cela n’a aucune valeur ?

 

Nous sommes d’alerte pour les grandes opérations : Etincelle et Jumelles

 

6 Juillet 1959 : Je suis rappelé par le capitaine CHARPENTIER, chef de notre 3ème escadron . Il me demande de partir à la tête de trois voltigeurs, plus le radio, afin de grimper à la nuit tombée  sur le 1039 (djebel Gourine). Celui-ci se situe en face du barrage KSOB, de l’autre côté de la route D8 (BBA-M’Sila). Il nous explique : Votre mission sera de servir de relais radio et de faire de l’observation (en arabe : chouf), pendant deux jours (ce sont les premiers jours de l’opération « Etincelle » dans le HODNA).

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Pour l’occasion, je choisis mes 4 gus (des chevronnés) et nous partons tous les cinq au camp du Ksob, base de notre escadron. C’est de ce camp que, vers 22h, je mets en route mon équipe pour gravir la pente de ce djebel. Sac au dos bien rempli, avec ravitaillement et équipement pour deux jours. En ce mois de juillet le ciel est clair, l’ombre de notre djebel se dessine magistralement devant nous.

Nous commençons l’escalade, espacés les uns des autres, je me tiens aux côtés du radio qui a 17 kg sur le dos, afin de soulager sa charge, ma main sous le poste, il faut dire que ce putain de poste radio, laboure le dos du porteur, un gars du groupe, moins chargé, lui porte son sac.

La pente est abrupte, nous progressons très lentement, il nous faudra plus d’une heure pour gravir et arriver près du sommet.

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Piton côte 1039. En haut, le MDL JUIGNER avec le radio SPENATO. En dessous, le Chasseur FOURNET portant le FM. Il y avait aussi le Caporal FREMEAUX.

Une vingtaine de mètres avant d’arriver sur la crête, nous sommes sur nos gardes, l’angoisse est plus forte quand nous atteignons la fin de l’escalade, j’ai pris une grenade défensive dans ma main droite, (j’en ai emmené six) le sommet pouvait être occupé par des rebelles. Ces amas de grosses roches sur les ultimes mètres nous empêchent  de voir très loin, pour cette raison, je demande au radio de rester en arrière. Après avoir enjambé les derniers rochers, je découvre que ce nid d’aigle était inoccupé, je l’appelle comme ça, parce que cela représente une petite plateforme rectangulaire de 5m par 3m entourée de rochers. Un poste d’observation idéal pour notre mission.

En y  réfléchissant bien, ce refuge aurait été un piège pour les rebelles, une cible idéale pour les avions T6 ou Corsair ?

Nous prenons chacun une place, le radio monte son antenne, je vais faire une première vacation avec l’escadron pour les informer de notre arrivée. Pour cette première nuit, je vais veiller avec le radio, les trois autres copains peuvent dormir. Notre chouf sur le HODNA, où se déroulent toutes les opérations, commence. Le djebel Maâdid (1863m) dessine sur notre droite, une énorme masse sombre.

C’est vers minuit, que nous apercevons les premiers signes d’accrochages, les balles traçantes ressemblent à des étoiles filantes, les fusées éclairantes, puis les lucioles lancées depuis les avions, on dirait qu’un orage violent s’abat dans le secteur d’EL EUCH.

À l’écoute de notre poste radio, des messages tout azimut nous parviennent, des unités amies ont sévèrement accroché, avec des pertes, mais beaucoup de prisonniers et de pertes rebelles.

Nous transmettons au Ksob, les zones de combat à l’est de la départementale n° 8.  Le radio et moi, sommes silencieux et attentif, une fusée rouge nous indique qu’une section est en sérieuse difficulté, cette fusée est un signe de détresse. Que de drames se déroulent sous nos yeux, nous sommes les témoins d’une gigantesque bataille.

Le jour se lève, tous les deux un peu abasourdis par notre nuit sans sommeil, on fait chauffer un café pour nous cinq, les copains ont dormi, cela va être notre tour. La petite toile de tente au-dessus de nos têtes, pour nous préserver des dangereux rayons de soleil.

Un roupillon de quatre heures et je suis retapé. Dans la journée, l’observation se fait à la jumelle, les vacations ont lieu toutes les heures. Le «gueuleton » de midi, ce sera les rations, puis sieste en deux groupes, chacun son tour. La nuit suivante, il y a eu beaucoup moins de combats. Comme son nom l’indique, l’opération « ETINCELLE » a dû faire des ravages la première nuit, sur le passage des rebelles venant de TUNISIE, puis l’info a sans doute été transmise aux katibas.

Le 8 juillet, nous redescendons vers le camp du Ksob, la descente est, à mon avis, aussi pénible que la montée, interdiction d’avoir la culasse de notre arme à l’arrière, une chute pourrait déclencher une rafale dans le dos d’un copain. Des chutes nous en faisons tous, la fatigue y est pour quelque chose, la chaleur de juillet est intense.

Une bonne bière fraîche au foyer du troisième, remonte tout de suite le moral. Je fais mon rapport au pitaine qui me confirme le bienfondé de notre mission et nous félicite tous les 5.

Retour, pas fâchés, à la ferme SAR où nous retrouvons nos copains.

 
Nous  découvrons  d’autres  caches

 

Le 10 juillet, le commandant LEDUC appelle sur le téléphone « noire » qui se trouve près de mon lit. Il envoie un camion Cargo-Simca d’un régiment du Train (toujours à notre disposition), il nous faut le rejoindre à l’entrée de l’ECS. Un renseignement (il n’est pas du deuxième bureau pour rien) va nous conduire au sud de la ville, en direction de BOU-SAADA. La plaine est aride, le camion s’arrête derrière la jeep du vieux, à une centaine de mètres de l’oued M’Sila.

Nous demandons à notre peloton, de se répartir de chaque côté de l’oued. Le lit est creux et à sec à cette période de l’année, notre mission est de ratisser en surveillant les rives. Le commandant a été formel, il y a du HLL (hors la loi) dans le secteur, il faut être prêt à faire feu. Nous parcourons 200m environ, soudain des rafales partent du bord opposé à mon groupe, nous plongeons au sol en mitraillant l’intérieur de l’oued, il y a des cavités sur le flanc de celui-ci, et c’est dans ces trous qu’ils se cachent ? Les copains et moi arrosons toujours de nos tirs l’autre rive, face à nous, pendant que le groupe du Margis-chef qui surplombe les caches, envoie une grenade offensive en direction des ouvertures. Deux rebelles apparaissent, SLAMANI, FREMEAUX et SUIRE les trois gars de l’équipe de J.C. BRICHE, qui étaient descendus les premiers dans l’oued, les mettent en joue et leur demandent de lever les bras, ce qu’ils font avec difficulté. Mon groupe, pendant ces arrestations, protège les copains d’en face.  Il y a  d’autres fellaghas à l’intérieur de cette cache, l’interprète qui nous accompagne, hurle de se rendre, sinon nous balançons les grenades défensives. Ils prennent leur temps, mais ils finissent par sortir. Nous avons fait sept prisonniers et récupéré des armes. En fouillant la cache, le Commandant met la main sur des documents importants.

Si nous n’avions pas eu de renseignement, il nous aurait été impossible de découvrir leur abri, tellement l’entrée était invisible.

Le 12 juillet, le Colonel du CHENE, désigne notre peloton pour la cérémonie de la fête nationale. Quelques entraînements de maniement d’armes pour se remettre dans l’ambiance.

Le 14 juillet, un groupe de notre peloton, habit et béret couleur sable, ceinture rouge des Africains, présente les armes aux autorités civiles et militaires. Le Commandant LEDUC représentait le Colonel, il y avait aussi le Sous-préfet, et le Maire, Monsieur FOURNIER. Cette manifestation se déroulait devant le monument aux morts de M’SILA. Fête nationale, oblige, le repas de midi a été meilleur que d’habitude ?

Les jours qui ont suivi, une remise de médailles a eu lieu dans la cour de l’escadron de commandement.

FREMEAUX, SLAMANI et SUIRE ont reçu la valeur militaire pour leur comportement lors de l’opération de découverte des caches. Récompenses méritées, ils ont été très courageux, devant les rebelles qui nous mettaient en joue, ils les ont forcé à déposer les armes.

Le peloton cynophile dirigé par l’Aspirant vétérinaire BURGET, ses adjoints : MDL DEBRYNE et Brigadier MABILEAU (un Tourangeau de Saint Nicolas de Bourgueil) leur effectif est de 10 chiens. Le Commandant LEDUC faisait très souvent appel à un ou plusieurs maîtres et son animal, soit pour des missions de recherches de suspects, soit en opération pour détecter des caches. Les chiens ont eu un dressage spécifique, de pisteur, d’éclaireur, ou d’attaque ?

La garde, ces chiens l’assumaient à la ferme, ils naviguaient sur un trolley, cela évitait à deux personnes d’assurer cette même garde, il faut avouer qu’ils étaient très dissuasifs.

Le maître-chien devait quand il partait en opérations, prévoir les bidons d’eau pour l’animal, et pour lui, idem pour la nourriture. La chaleur que nous subissons au mois de juillet 1959, épuise les hommes et évidemment les chiens. Au cours d’une journée d’opération dans les djebels, le chien «Prinz» est mort de soif. Son maître : TRIADE  a eu un blâme pour avoir manqué d’assistance et de soins envers son compagnon.

Les chiens les plus sollicités : Sorro, le plus abordable et gentil du groupe, PAXEL, ERO, et CREF. Ma mémoire me fait défaut pour le nom des six autres.

Le 28 juillet, nous faisons la fête, Jean-Claude BRICHE, notre chef de Peloton, va nous quitter dans quelques jours. Un repas est organisé à cette occasion avec les Cynophiles. Des tables sont dressées sur toute la longueur de la cour intérieure et centrale de la ferme. L'ambiance est formidable, avec des chants, des galéjades, un bon repas. Nous changeons le gars de garde chaque demi-heure afin de tous participer, tout en veillant à notre sécurité ? Le bon vin a coulé pour arroser cela, le repas et la fiesta ont duré jusqu'à deux heures du matin, le chef était heureux et nous aussi.

Je vais me coucher avec un léger verre dans le nez, comme on dit !  Je crois que c'est la première fois depuis que je suis en Algérie.

Le 2, à 8h10, je suis réveillé par une explosion. Je me lève à toute vitesse, pourtant, j'ai du mal à ouvrir les yeux à cause du peu de sommeil. Nous sommes plusieurs à foncer vers où a été entendu le "boum", soit vers mes barbelés piégés. Rendu sur le lieu, je découvre un brave fellah à plat ventre et apeuré, son bourricot affolé court au loin. Je vérifie si l'homme n'est pas blessé, non, il en est quitte pour une bonne frayeur.

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Tout ça est de ma faute, n’ayant pas beaucoup dormi, j’ai failli à la tâche qui m’incombe, en effet chaque matin quand nous ne sommes pas en opération, je dois ouvrir le passage à 8 h, ce brave paysan, ayant vu le barbelé fermé, a voulu faire le travail à ma place et patatras. Après ces minutes d’inquiétude, nous n’avons pas pu nous empêcher d’éclater de rire, il faut dire que le spectacle (sans blessé) avait de quoi nous rendre hilarant. Tout le peloton y allait de sa plaisanterie à mon encontre : tu fais la bombe, et tu oublies la grenade…La leçon que nous en avons tirée : le piège marche impeccable.

Le  Maréchal des Logis Chef  J.C. BRICHE, quitte l’armée et la ferme SAR le 5 août, après cinq années passées loin de sa Lorraine natale, il laisse le 4ème peloton, apprécié par tous les gus, pour son esprit de commandement et son charisme. Nous déplorons son départ, mais tous sont contents pour lui, il attendait tellement cette « quille ». Il m’enverra une carte d’ALGER  pour me souhaiter bon courage.

Raymond DEBRUYNE, le Maréchal des Logis, adjoint du vétérinaire à la tête du peloton cynophile, partage ma chambre, c’est un bon copain avec qui je m’entends bien. Il n’a plus qu’un mois à faire, c’est long quand on attend cela depuis 28 mois. Il lui arrive plusieurs fois durant ce mois d’août, d’avoir des crises de cafard légitimes, qui se transforment en crises de nerf. Je suis obligé de le maîtriser car il se blesserait en se frappant contre les cloisons ou les murs. Il a hâte de quitter l’armée et de retrouver : fiancée et famille. Les trente derniers jours n’en finissent pas d’après lui, j’ai beau le raisonner que le plus dur est fait, il déprime ? Nous traversons tous, des moments de blues, de mélancolie, à un moment ou un autre, je ne le fais pas paraître.

Je suis responsable du peloton plusieurs jours, en attendant la nomination du remplaçant. J’essaye de commander dans le même esprit que le chef qui vient de partir, les gars sont corrects avec moi  et ne posent pas de problèmes.

C’est un Aspirant (appelé) qui arrive à la tête du 4peloton : Pierre HUBERT.

C’est un Havrais, un peu désemparé, timide et sans expérience. Il compte sur moi pour le guider lors des premières semaines. Je le mets à l’aise, au courant des missions qui nous sont confiées, l’effectif de notre peloton, le nom de chacun des titulaires, je lui fais faire un petit tour du camp, des fortifications, et des environs immédiats. Le vieux LEDUC lui souhaite la bienvenue.

Il peut débuter sa tâche de chef de peloton. Le premier soir, il ne prendra pas son tour de quart, mais le lendemain il y aura droit.

Lors de notre patrouille habituelle au souk de M’SILA, je lui ai présenté les personnes les plus en vue, militaires ou civiles.          

 

Le  Grand  Charles : visite éclair.

 

Le 20 août, le fourrier de l’ECS me demande de récapituler toutes les tailles de treillis des gars du peloton. Je suis stupéfait qu’ils envisagent de nous doter de treillis neufs ? Personnellement, la toile du mien est très amincie sous les coudes et sur les genoux ? C’est le cas de tous les anciens ? Je fais la liste demandée rapidement, apparemment ils sont pressés. Une note de service : « secret défense » nous parvient de la part du Colonel, seul l’Aspirant et moi somment pour l’instant informés. Voilà l’information :

 A une date pour l’instant inconnue vers la fin du mois d’août, notre peloton habillé de neuf, est désigné pour présenter les armes au Général de Gaulle, Président de la République, sur le petit aérodrome de M’Sila. Je comprends mieux le pourquoi des treillis neufs. Il faut montrer au grand Charles, que l’armée Française et les appelés présentent bien. Quel cinéma ! Dans le djebel, personne n’est venu voir si nous avions un trou à notre veste ou à notre pantalon de treillis et pourtant c’est le cas !

Dès que nous avons reçu les habits neufs, nous nous entraînons tous les jours, il ne faut pas faire de fausses notes le jour J.

Nous informons tous les copains du peloton conformément aux consignes, la veille seulement de cette TOURNEE  DES POPOTES du grand  Charles. Les cadres du 12ème RCA  ne voulaient pas prendre le risque de fuites éventuelles, avec des gens trop bavards, ce qui aurait pu entraîner la  préparation d’un attentat ?

Le 29 août, vers 17 h, nous partons, tout beau (treillis neuf) sur le petit aérodrome en terre battue, de M’Sila qui n’avait jamais reçu de personnalité aussi importante.

Tout autour de ce terrain, notre escadron a déployé des Autos Mitrailleuses, des Half Tracks équipés de quadruples mitrailleuses, sécurité maximum pour ce grand visiteur.

Tout le gratin régional est présent : Le Colonel du CHENE commandant le 12ème régiment de Chasseurs d’Afrique, les Officiers en grand nombre, le Sous-préfet, le Maire, des représentants des GMS, des Harkis, de la SAS (Sections Administratives Spécialisées)

En position repos, nous attendons l’arrivée de l’homme du 18 juin 1940. Nous avons fière allure dans nos treillis neufs, le col de notre chemisette grand ouvert, sous notre veste de treillis... Les trois récipiendaires, décorés récemment de la valeur militaire, sont placés au premier rang.

Un point noir apparaît dans le lointain, tout le monde s’agite, l’Aspirant fait signe de se tenir prêt. L’avion amorce sa descente et se pose à 250m de nous, puis roule doucement en se dandinant sur le terrain, dont la surface est plus ou moins bosselée.

Ordre est donné : "garde à vous", puis "présentez armes". Nous sommes raides comme des piquets, je veille à ce que mon PM soit bien horizontal, plaqué contre mon ceinturon, la tête relevée, je vais voir le personnage historique, qui le 18 juin 1940 de Londres a lancé sa révolte. Il est devenu ce jour là, le chef de la France Libre.

L’avion s’arrête à une vingtaine de mètres de nous, je ne connais pas bien  les zincs, je crois que c’est un avion de liaison « Broussard ».

La porte s’ouvre, un officier de notre régiment se précipite pour placer un petit escabeau sous cette ouverture. Une jambe sort de l’appareil, et cherche en tâtonnant, pour trouver la première marche, nous avons du mal à garder notre sérieux car l’escabeau est plutôt bancal, heureusement aucun gus, n’a l’idée de chuchoter une sottise, sinon, on pouffait ? Il n’aurait plus manqué qu’il s’affale sur le sol.

Enfin, ça y est, Charles De Gaulle en tenue de général de Brigade pose les deux pieds sur la terre ferme ! Il commence par venir saluer la troupe, représentée uniquement par notre peloton, nous serrons les fesses quand il passe devant nous cet impressionnant bonhomme, puis il va serrer (ah non, pas lui !..) la main des notables. Il a demandé de nous faire reposer les armes, ouf ! C’est un voyage éclair, il ne quitte pas le terrain. Il converse près d’une heure avec les Officiers du secteur, le Sous-préfet et le Maire. Nous ne saurons jamais ce qui s’est dit lors de ces entretiens ? Les livres historiques ne nous l’ont  pas dit non plus ? Nous faisons de nouveau le "présentez armes" car il s’apprête à quitter ses interlocuteurs. Il repart, entouré de ses officiers  (ordonnance, protocole, chargé de mission) pour Bordj Bou Arréridj.

Est-ce la brièveté de cette visite, pour qui la  presse n’a pas été conviée, dans aucun  document relatant la guerre d’ALGERIE, son passage à M’SILA  n’est mentionné ?

J’ai pensé que le 12ème Régiment de Chasseurs d’Afrique, ancienne unité, glorieuse, de la seconde guerre mondiale, faisant partie de la deuxième division blindée du Général LECLERC représentait une figure emblématique de l’armée d’AFRIQUE , titulaire d actions d’éclat, lui ayant valu : la Croix de guerre et la décoration Américaine, peut-être est-ce pour cette raison que le président ait tenue à l’honorer de sa présence.

Le lendemain de cette cérémonie, ironie, nous redonnons nos treillis neufs, au fourrier. Nous continuerons à crapahuter, habillés, de nos vielles fripes.

Ah ! Monsieur le président si vous reveniez aujourd’hui, nous serions beaucoup moins beaux…., nous ressemblons plus aujourd’hui à des combattants dont les fringues ont été usées par les montées et descentes des Djebels. Ironie, certains de nos prisonniers étaient mieux habillés que nous.

 
La  Légion  en  1ère ligne

 

Le 30 août, au cours d’une mission en ville avec mon groupe, je croise un légionnaire du 3ème Régiment Etranger d’Infanterie (REI), nous nous sommes salués et parlé, je lui ai proposé d’aller boire une bière au foyer de l’ECS, laissant mon groupe quelques instants.

Il m’a expliqué que les grandes opérations du Général CHALLE, dont l’actuelle : Jumelles, les envoyaient partout dans le Constantinois, et qu’actuellement, leur régiment était en alerte dans notre secteur de M’Sila.

Tout en parlant, il jetait un œil sur mon insigne de régiment, il a remarqué que, comme eux, nous portions la distinction Américaine. Il m’a demandé si nous pouvions échanger nos insignes régimentaires, j’ai accepté avec plaisir, le 3ème REI  est l’un des plus décorés de France.

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Nous avons écrit notre nom sur le cuir au dos, j’ai su ainsi qu’il avait pour nom : SATTLER Albert, et qu’il faisait partie du peloton lourd. En conversant, je lui ai expliqué quelques opérations que nous avions faites. Aussitôt, il a insisté sur le fait que nous appelés, nous n’avions pas à exposer nos vies aux dangers des djebels, moi, légionnaire, comme tous mes copains, je me suis engagé pour faire la guerre, pas vous, je n’ai pas fait de commentaires ?

Nous ne savions pas au moment de se quitter, que le surlendemain, nos chemins allaient se croiser de nouveau, mais cette fois, pas autour d’une bière fraîche ? on s’est donc souhaité bonne chance.

Le 1er septembre, sur un appel du Commandant LEDUC deux camions viennent chercher tout le peloton, pour participer à une importante opération (dans le cadre de Jumelles). C’est dans le KEF EL ASSEL où une bande rebelle a  été signalée.

Quand nous sommes arrivés, les légionnaires du 3ème REI ont déjà accroché, avec l’aide de deux avions qui mitraillent le djebel à notre droite. Le patron de l’opération nous demande de gravir le piton de gauche, pour limiter le repli des fellaghas, poussés par la légion.

Nous grimpons très vite pour arriver avant les fellouzes sur le sommet, malheureusement, à 20m de la crête, ils nous tirent dessus, je tire des rafales avec mon PM, sans discontinuer, sur ma droite et ma gauche, les copains font de même, un rebelle se pointe debout, nous toise et nous tire dessus sans se protéger, il est immédiatement abattu par nos tirs et il vient rouler à mes pieds. Nous prenons position sur le sommet du piton, et continuons à tirer dans les arbustes qui couvrent l’autre versant.

Les avions mitraillent au canon de 20mm, nous recevons les douilles autour de nous. Un de ces obus arrache toute la cuisse d’un rebelle, devant ce déferlement, ils ne recherchent plus le combat, ils fuient dans la partie boisée en se terrant, ils deviennent invisibles à nos yeux et par ceux des avions « Corsairs ».

Miracle, aucun blessé dans notre peloton, encore la Baraka, par contre la Légion, très exposée, a eu des tués (combats aux corps à corps) et des brûlés. Les deux avions ont balancé des bidons de liquide « spécial » (pour ne pas dire : napalm) sur le lieu des affrontements, les légionnaires, très près des rebelles, ont été gravement brûlés. Mes pensées vont vers Albert SATTLER, je songe à ses paroles : nous sommes là pour faire la guerre avec tous les risques que cela comporte, cela se passait, il y a deux jours, nous buvions une bière tranquille. Est-il parmi les victimes ? Je ne pourrais jamais le savoir, les légionnaires ne chargent personne à leur place, pour faire le transport de leurs morts et leurs blessés. Les blessés rebelles et leurs morts sont pris en charge par des véhicules d’un régiment du Train et du service de Santé. L’Aspirant a eu son baptême du feu, quant à notre peloton, c’est encore une journée où douleur et désarroi ont été d’actualité. Les Chasseurs d’Afrique que nous sommes, continuent l’opération « Jumelles » de façon ponctuelle. 

Le 4 septembre, je pensais qu’une petite détente sans sortie nous ferait le plus grand bien, allongé sur mon plumard, je lis les nouvelles de Touraine que ma mère m’envoie régulièrement. Catastrophe, le téléphone, à côté de mon lit, se met à vibrer, le Commandant LEDUC (sympathiquement appelé : le vieux) se rappelle à notre bon souvenir. Il me donne l’ordre de constituer un groupe pour partir dans la soirée vers les OULED MANSOUR,  dans la plaine du HODNA.

Mission : occuper la mechta d’un chef rebelle, sensé revenir voir sa famille la nuit ? Nous partons à la nuit tombée, le camion n’a que ses petites veilleuses d’allumées (j’appelle ça : yeux de chat) la plus grande discrétion est assurée. Il nous dépose à proximité, et repart aussitôt pour ne pas alerter le voisinage. Notre installation se fait sur le toit de la mechta, avec nos petites tentes individuelles camouflées.

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Le fusil-mitrailleur en batterie, la surveillance commence. La garde se fait par deux gus, je participe évidemment, notre tour revient toutes les six heures. Les deux heures de garde de nuit ne passe pas vite, les chacals viennent tout près de la mechta, leurs cris perçants retentissent très fort, je me dis que la nuit prochaine, il faudra se munir de cailloux, pour leur faire peur et les éloigner. Des jeux de lumière dans la montagne me font penser que des gens communiquent en morse ou dans un code confidentiel ?

Dans la journée, la chaleur est caniculaire, notre eau chauffe trop vite et ne nous désaltère même plus. En dehors de la surveillance, mon boulot est de passer des vacations radio avec le PC, toutes les heures.

Si, effet de surprise il y avait eu, c’est la première nuit que cela aurait dû se passer, nous respectons les ordres et continuons notre veille pendant 10 jours. Le téléphone  «Arabe»  a fonctionné et l’hôte que nous attendons n’est pas venu. Ce n’est pas qu’une légende, ce moyen de communication existe réellement, il n’y a qu’à entendre les cris stridents qui font échos dans les plaines et les djebels, incompréhensibles pour nous, mais des oreilles attentives ont compris le message ? Certaines embuscades tendues par notre peloton ont échoué à cause de cela.

Retour à la ferme SAR, pas mécontents de retrouver notre bon plumard. Nous ramenons la superbe jument du chef fellagha, réquisitionnée sur ordre du vieux, on ne sait pas si elle restera chez nous ?

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Le Tourangeau BASTARD, fait la démonstration de son savoir en galopant sur cette jument autour du camp.

Sur la magnifique bête, j’y suis monté, mais pas pour galoper, juste pour la « photo », pas hardi sur un pur-sang, le mec ? Un véhicule de l’escadron viendra la chercher deux jours après.

Le 16 septembre, une information nous apprend que : Charles de GAULLE va proposer « l’autodétermination » au peuple Algérien, avec trois options : la sécession, la Francisation et l’association. La population de M’Sila que nous rencontrons ne fait aucun commentaire sur ce sujet, ils ont eu tellement de versions sur leur avenir, qu’ils sont blasés. Sa tournée des popotes a-t-elle été l’élément déclencheur de cette énième déclaration ?

Il a vu beaucoup de monde et a été informé des résultats positifs du  plan CHALLE : opérations Courroie, Etincelle, et Jumelles en cours. Période où les rebelles se rallient nombreux à la France.

Nous continuons nos gardes, le long des travaux de poses de conduits d’irrigation, qui seront inaugurés prochainement. Ces nuits à la belle étoile me font penser aux immenses investissements que la France  développe en Algérie depuis des années, et l’irrigation en fait partie.

3000 hectares, puis 13000 dans quelques mois, vont arroser les plaines de M’Sila, grâce à l’eau du barrage « KSOB » protégé par notre escadron. Nos journées, nos nuits, où, chaleur, fatigue, soif, manque de sommeil, s’investissent aussi pour l’avenir  de l’ALGERIE. Sera-t-elle reconnaissante de tout le travail fait ? Nous avons surveillé depuis des mois ces travaux gigantesques qui consistent à déplacer le pétrole et l’eau.

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Le 4 octobre, cela me fait 27 mois de service militaire. À la ferme SAR, nous sommes quatre de la 57/1C à arroser nos 30 jours au jus, et pour employer le terme à la mode à cette époque « ce n'est pas dégueulbouif » ce qui veut dire : c’est pas dégueulasse !

Le mois commence par des opérations dans les monts du Hodna, toujours passage obligé des fellaghas venant de Tunisie, un chien nous a fait découvrir une cache où était installé un atelier de serrurerie. Nous avons fait des prisonniers, ouvriers, leurs missions : La réparation des armes de toutes natures que les rebelles de passage leur confiaient. Certains avaient été enrôlés de force, nous ont-ils dit, et d’autres sont convaincus du bienfait de leur engagement pour le FLN.

 

Notre peloton ramène à la ferme nos six prisonniers, ils sont bien traités, ils sont même libres à l’intérieur de notre enceinte, on leur offre à boire et des cigarettes, ils conversent avec les appelés musulmans de notre peloton.

Le lendemain, deux gendarmes sont venus interroger ces mêmes prisonniers, nous leur avons proposé la salle à manger des gradés de la ferme, devant une table garnie : Casse-croûtes et sodas, ils ont obtenu (j’étais présent), tous les renseignements qu’ils souhaitaient, aucune menace, aucune brutalité, n’ont été proférées.

Quelle leçon, nous étions fiers, et aujourd’hui encore, je n’admets pas que toute l’armée soit mise au même rang que les tortionnaires, je le rappelle dans les pages qui suivent avec articles de presse à l’appui.

Nos prisonniers, très satisfaits de notre comportement, se sont portés volontaires pour s’engager dans une Harka (unité de combattants Musulmans pour la France, appelés Harkis).

Il n’y a rien à rajouter à cet épisode, nous avons fait notre devoir de soldats, en respectant nos prisonniers, et je ne crois pas qu’il faille trop gonfler la poitrine pour cette attitude légitime. 

Dans les jours qui suivent, comme après chacune de nos sorties opérationnelles, le nettoyage des armes est indispensable, les vents de sable sont néfastes pour tous les éléments mécaniques de l’armement. Occupé dans ma chambre à remplir les rapports et la consommation de munitions (afin d’être réapprovisionné), j’entends une détonation, cela semble venir de la chambre des gars de mon groupe. Je fonce et je découvre SUIRE la main gauche couverte de sang, il restait une balle dans le canon de son pistolet, et avant de le nettoyer, il a voulu comme d’habitude, déclencher la détente par sécurité et il s’est tiré la balle dans le gras de la main. Nous lui entourons sa blessure avec des pansements individuels que l’on porte toujours sur nous. J’appelle l’ECS, afin qu’il nous envoie une ambulance.

L’infirmier de service nous rassure, ce n’est pas trop grave, dans moins d’un mois, il sera remis. Une grande peur de plus, malgré les consignes sans cesse renouvelées concernant le nettoyage des armes, l’accident arrive, on ne peut s’empêcher de penser, qu’il aurait pu tuer un de ses copains situés à proximité ? L’horoscope du journal local prédisait la veille, pour mon signe « gémeaux » :

 les petits ennuis ne doivent pas vous bouleverser !

Je lis les horoscopes par amusement, mais loin de moi, l’idée de baser le cours de mes journées par des prévisions astrales. 

Le 15 octobre, (je suis à peu près à 15 jours au jus) une visite pour l’ouverture officielle des vannes du barrage KSOB est prévue ce jour.D’importantes personnalités vont passer au barrage, où campe notre escadron (3ème) et ensuite ils passeront chez nous à la ferme. Les personnalités présentes sont:

M. Max MOULINS, inspecteur général régional,

Le Général DELEPIERRE, commandant la Zone Ouest Constantinois, le Sous-préfet, le Maire, les ingénieurs de l’hydraulique, et beaucoup d’autres personnalités militaires et civiles.

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Pour cette occasion, nous avons fait le nettoyage complet de la ferme et de son environnement.

La  délégation nous a rendu visite en début d’après-midi, il y avait de très nombreuses huiles civiles, dont les maires musulmans des communes avoisinantes. Des discours sont prononcés par des ingénieurs sur le fonctionnement de l’ancien barrage de retenue près de la ferme (dont on apprit qu’il avait été construit en 1912), puis explications sur le fonctionnement de la SAR d’élevage avant qu’elle ne soit détruite par les terroristes du FLN en 1956. Pendant toute la cérémonie, nous surveillions les abords, à l’aide de mes jumelles, et du haut du mirador, je scrutais l’horizon.

Tout s’est bien déroulé, les journalistes présents ont fait un reportage précis et développé, sur cette journée. Une copie (voir pages suivantes) du reportage de l’envoyé spécial du journal de Constantine donne plus de détails que mon commentaire. Dans ce même quotidien du 16 octobre (acheté à M’Sila), un petit article en page trois attire mon attention : Un attentat manqué contre Monsieur MITTERRAND, lorsqu’il passait sur l’avenue de l’observatoire ? Il n’a pas été atteint, la police a ouvert une enquête ?

Nous apprendrons dans les jours qui suivent, qu’il s’agissait d’un attentat « bidon ». Voilà un homme, 8 fois ministres, 4 fois secrétaires d’état, qui est mêlé à un simulacre d’attentat, pour que l’on parle à nouveau de lui. Son ami PESQUET, dévoilera l’organisation de cette simulation d’attentat en accord avec Mitterrand. La justice traînera cette affaire pendant des années. Grâce à la réélection de Ch. De GAULLE, en janvier 1966, celui-ci promulguera une loi d’amnistie qui lavera MITTERRAND de toutes inculpations. Nous, pauvres couillons d’appelés, pendant ce faux attentat, nous crapahutions sous des vrais tirs ! 

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Je suis à 15 jours au jus, moi qui prétendais ne pas avoir d’angoisse, je suis atteint ? Les dernières sorties avec mon peloton se targuent d’anxiété. Je suis heureux pourtant, la quille approche, mais aller comprendre pourquoi cette nervosité et cette peur du lendemain.

La baraka, je l’ai eue à de nombreuses occasions, je souhaite que rien ne vienne entacher cette libération. En camion, je ne pensais jamais aux mines auparavant sur les nombreuses pistes parcourues, tout près du but, je les crains. Je fais, comme jamais, attention à ce que je mange et bois, la dysenterie amibienne par exemple, certains copains en ont été victimes, très malades, ils ont été rapatriés sanitaires.

Je deviens méfiant à presque 28 mois de service ? Moi qui disais aux copains de garder le moral, je ne me reconnais plus !

À la ferme, nous sommes quatre libérables, on en parle tous les jours : top là la classe, c’est du peu au jus ? Les journées s’égrènent, les dernières bagarres de flotte, les dernières sorties dans M’Sila pour ramener un souvenir aux parents, aux sœurs et frères. Ma dernière rage de dents (avec les gencives qui saignent), je me les ferai soigner dans le civil avec ma mutuelle, mon dentiste aura du boulot à colmater, car je ne compte pas sur une reconnaissance de la République pour les maux que ces années AFN, m’ont fait subir ?                

 

Enfin !

 

Le 18 octobre, je suis le premier à lire la note de service qui vient d’arriver à la ferme :

         Libération contingent 57/1C  (dernière fraction)

Liste nominative des libérables du 3e escadron.

Au 4e peloton :     MDL       JUIGNER Pierre

                          2e classe  FLEURDEN André

   Libération administrative

Mercredi 28 octobre 1959 : 14h00         Effectifs

                                              14 à 17h    Magasin du corps

                                              15 à 18h     Visite et Radio

                                                 18h           Trésorier

Ensuite, on pouvait lire le programme de réjouissance (ça sent bon)

Départ de M’Sila le 30/10/59 à 5h00

Départ par train de Bordj (BBA) le 30/10/59 à 7h51

Embarquement le 31/10/59 sur S/S « De Cazalet »

Permission libérable à compter du 2 novembre.

2 jours de vivres à percevoir à l’escadron.

1 sous-officier du 4e Zouaves désigné comme élément précurseur.

Escorte fournie par le 2e escadron.

Tous les permissionnaires (libérables) devront se présenter le 27 octobre au MDL Fourrier de l’escadron pour la revue de paquetage et pour réintégrer les effets perçus à l’escadron.

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Nous devrons nous présenter au chef comptable qui nous donnera notre livret individuel et le certificat de bonne conduite.

PRESENTATION AU CHEF DE CORPS , le Colonel du CHENE, le 29 octobre à 18h00

Cour d’honneur de l’ECS par le Sous-lieutenant TROTON.

PRESENTATION AU CAPITAINE COMMANDANT (le 3e esc.), le Capitaine CHARPENTIER.

Au retour de M’Sila le 29/10/59.

Programme très chargé, mais, pour la quille, on ne compte pas, toutes ces présentations sont un rituel et il faut y passer ?

Le document « permission libérable » m’est remis le 28, ce papier, je le regarde avec « vénération », pensez donc, après ces innombrables kilomètres dans les djebels, après ces dangers traversés, après la soif, après la canicule, après les chagrins, les angoisses, la fatigue, je lis et relis ce papier qui va me propulser vers la vie civile.

L’Aspirant m’épargnera quelques sorties les derniers jours, mon remplaçant est déjà là, le MDL BILLIERES.

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Le 28 octobre en soirée, les quatre libérables de la ferme, nous fêtons la quille comme il se doit. Une grande fête de famille, car je considère que nous formions une famille, où chaque élément pouvait compter sur l’autre pour sa sécurité, et son aide dans la difficulté.

Le 29 au soir après les cérémonies officielles, le retour à la ferme, un comité d’accueil attendait les quatre quillards pour la tradition :  Avec un grand couteau, on coupe la cravate en deux parties (il fallait prendre ses précautions et en garder une en secours, c’est ce que j’ai fait).

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Le repas est vite avalé, je passe dans chaque piaule pour la séance des adieux, de chaleureuses poignées de mains, des paroles réconfortantes pour les plus jeunes, pour les deux de la 57/2A : je leur dis : c’est vous maintenant qui prenez le relais et vous devenez « QUILLARDS ».

La nuit a été très courte, le sommeil, dû à l’énervement ne venait pas.

Réveillé par la garde à 4h00, je ne suis pas long à mettre les pieds à terre, je goûte ma dernière levée du corps à la ferme. L’émotion est grande, la toilette et le petit-déjeuner sont rapidement faits, je monte une dernière fois par l’échelle, au mirador, pour saluer le gars de garde, on me laisse monter les couleurs plus tôt que d’habitude.

Je prends paquetage et valise dans ma piaule, puis je regarde avant de franchir la porte, ce fameux téléphone qui m’a réveillé tant de fois pour signaler une intervention, les deux Sous-off.  prennent le relais.

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Le camion est là qui nous attend, je grimpe dedans avec mes trois compères, nous roulons sur le petit chemin qui conduit à la route départementale N°8, debout nous saluons les copains qui ont eu le courage de se lever tôt pour un dernier adieu, un frisson me traverse.

Une escorte d’autos mitrailleuses a rejoint notre véhicule sur la route de BORDJ BOU ARRERIDJ, ville où nous nous rendons pour  prendre le train pour ALGER. Dans ce train sérieusement escorté, je me mets à l’aise et j’essaie de me décontracter. Le long du trajet, je prends des photos des DJEBELS qui côtoient la ligne de chemin de fer, ces montagnes qui m’ont impressionné lors de mon arrivée et elles me fascinent lors de mon départ ?

Sur le port d’ALGER, le « DE CAZALET » (il est devenu mon bateau favori), attend les libérables de tout l’Est Algérien.

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Privilège d’être Sous-off, ma traversée sera confortable, un temps splendide est de la partie. Nous apercevons les côtes d’Espagne, je n’avais pas eu cette chance aux voyages précédents.

Port-Vendres et les côtes Françaises se profilent à l’horizon.

Une joie immense quand je touche le sol, un coup d’émotion avec les  adieux  aux copains du régiment, chacun va vers les siens retrouver la vie civile.

Mon arrivée à TOURS, chez mes parents, est une grande fête familiale, je suis au centre des discussions. Avec la présence des  sœurs, frères, beau-frère, et leurs enfants, le Vouvray pétillant coule dans les verres, et même sur la tête d’une de mes nièces qui s’était trop approchée du serveur. Effervescence et bonheur immense, pourtant je suis un peu dans les nuages, quel changement de vie !

Désemparé, j’y serai de longues semaines et même des mois, j’ai du mal à retrouver un rythme dans ma vie civile. Je ne retrouve plus mes repères : copains, loisirs, il n’y a que mon emploi à l’usine (où j’ai travaillé avant de partir) qui me décontracte.

Tout a changé, mes copains sportifs ne sont plus dans mon quartier, d’autres sont mariés, d’autres sont encore en AFN.

Isolé et sans amitié, j’erre comme une âme en peine.

Voyant ma solitude, un voisin de mes parents, dirigeant d’un club de hand-ball de Tours, me propose de m’engager et j’accepte.

Je m’entraîne et je prends du plaisir à faire ce sport, malheureusement, un stupide accident le dimanche 13 novembre 1960, lors d’un match, un ballon très convoité, je suis à terre, et deux joueurs adverses me tombent sur la jambe. Bilan : doubles fractures à la jambe droite, tibia et péroné, 6 mois d’arrêt, cloué au lit, perte de salaire, la baraka, n’est plus avec moi ?

Est-ce une faiblesse osseuse? Mes 28 mois de service, ont-ils fragilisé, le médecin-spécialiste n’a pu le confirmé.

Des années n’ont pas suffi pour effacer cette période « AFN », est-ce cela que l’on appelle un traumatisme ?

J’aurai pu dire aussi :

- Que dès mon retour en France j’ai pris rendez-vous chez le dentiste, celui-ci a détecté des kystes sous une douzaine de dents, ravages des rations et conserves de mes 28 mois de service !

-Que le 17 novembre 1959, j’ai rendu mes derniers effets militaires à la gendarmerie de Tours, soulagé !

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 Préparation de sa Citation par le Chef du Peloton 4/3/12RCA, l'Aspirant HUBERT :

12RCA HUBERT 26 préparation Citation P JUIGNER

Collection P. Hubert

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Quand deux Chasseurs d'Afrique du 4ème Peloton du 3ème Escadron se retrouvent :

 Par un beau dimanche d'automne, le 30 septembre 2012, 53 ans après s'être quittés en Algérie, Albert Goudart,

accompagné de son fils et sa belle-fille, vient rendre visite à Pierre Juigner et son épouse. 
Beaucoup d'émotion et d'embrassades entre les 2 chasseurs qui ont abondamment égrené les souvenirs
joyeux et douloureux du 21ème Dragons et surtout du 12ème RCA.
A l'aide de photos, les commentaires allaient bon train : "Te souviens-tu de untel, de cette opé. qui nous a
bouleversée", nous avions 20 ans et les années ne nous ont pas fait oublier tous ces copains disparus ou en vie.    
             
                            De gauche à droite Albert GOUDART et Pierre JUIGNER

 

 

Remise officielle de la Médaille Militaire le Jeudi 8 Mai 2014 à Tours par le Général RIPOLL, Commandant la place de Tours.

12 RCA JUIGNER MM

 remise MM Pierre JUIGNER copie

 

 

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